Comparution immédiate : la pire des procédures
La comparution immédiate est ce qu’il existe de pire dans l’ordre judiciaire pénal. Il est assez rare en droit de pouvoir parler en absolu mais il ne fait aucun doute que cette procédure est ce qui se fait de moins bien en terme de garanties des droits de la défense, de sérénité des débats, de protection du justiciable, et de justice dans son ensemble. La comparution immédiate telle qu’elle est pratiquée par de nombreux tribunaux correctionnels n’est pas de la justice, c’est de la gestion de flux. Le prévenu va être jugé et tout le monde sait déjà ce qu’il va lui arriver. Peut-on parler de justice lorsque l’issue est déjà connue avant même le débat ? Doit-on avoir un débat dans ce cas ?
Une affaire avait fait grand bruit il n’y a pas si longtemps en 2017. Dans le cadre d’un reportage, la radio France Culture enregistrait les débats d’une audience de comparution immédiate. Un jeune homme d’à peine 18 ans comparaissait pour des vols de téléphone portable sur des mineurs. Voila l’extrait de ce que le juge qui présidait cette audience :
Le procès n’avait même pas encore commencé. Avec des tels propos, je ne sais pas si j’aurai pu continuer à la regarder comme juge ou magistrat durant le procès. Au-delà du caractère totalement déplacé d’une telle remarque (et illégal le juge devant être impartial) transparaît la réalité de la comparution immédiate.
Un État qui ose affirmer que cette procédure garanti les droits de la défense est soit autoritaire soit hypocrite et dépassé par le monstre qu’il a lui-même créé. Je vais passer en revue quelques points importants de la procédure de comparution immédiate qui la différencient du régime général mais permet ainsi de se rendre compte de son caractère injuste voir cynique.
La comparution immédiate est une version accélérée de la procédure devant le Tribunal correctionnel. C’est-à-dire que ce sont des affaires du même niveau pénal qui vont se retrouver juger à savoir l’ensemble des délits prévus par le Code pénal. Il est bon de rappeler qu’une peine de prison allant jusqu’à dix ans emprisonnement peut donc être prononcée. Le prévenu est présenté aux juges dans les suites de sa garde-à-vue qui en général n’est pas éloigné des faits. Pour donner une comparaison, si dans le régime normal, les faits sont commis le 7/1/2019, ils seront jugés dans un délai de six mois par le Tribunal après ceux-ci. Pour une comparution immédiate, il faut compter en général deux jours. Est-on en mesure de présenter la même défense en deux jours qu’en 180 ? Le temps consacré à étudier le dossier sera donc diminué de la même manière. Pourtant l’enjeu et la peine encourue est la même.
Devant le Tribunal correctionnel, sauf s’il est déjà détenu pour une autre peine, le prévenu se présente libre à son audience. Il comparait en face de ses juges et est dans un état de santé normal. En comparution immédiate, il sort de deux jours de garde-à-vue soit être enfermé dans une pièce, avec un repas spartiate à tout le moins, n’a pas vu sa famille ni respiré d’air frais. Il assiste à son procès enfermé dans une cage en verre qui donne encore une fois l’impression qu’il est déjà condamné avant même d’avoir été jugé. Les réponses qu’il ou elle pourra formuler aux questions seront difficiles. Il n’a pas connaissance exacte des faits et n’a pu s’entretenir avec son avocat que très brièvement avant l’audience.
Les personnes qui justifient le recours à la comparution immédiate vont préciser que le prévenu peut demander un délai entre le moment ou il est présenté devant les juges et son procès. Par exemple s’il est présenté le 7/1/2019, il peut demander un délai pour préparer sa défense. Ce délai est de droit et sera forcément accordé. Alors pourquoi dénoncer si vertement la procédure de comparution immédiate ? Parce que d’une part, s’il demande un délai il est probable qu’il soit quand même envoyé en détention dans l’attente du procès et d’autre part tout est fait pour que ce dernier ne choisisse pas cette option. En pratique, il est rare qu’un prévenu demande le délai pour préparer sa défense. Dans 9 cas sur 10, il préféra être jugé le jour même car il sait bien qu’il sera condamné. Pour autant, il s’agira quand même de la meilleure défense à ce stade de la comparution immédiate. Prendre le délai est d’une importance capitale et a toujours un intérêt. L’éloignement avec les faits permet une meilleure explication et le prévenu ne comparait pas dans un état de fatigue avancé et sous-nourri.
Le travail de l’avocat sera alors d’assister et de trouver la faille dans l’accusation pour réduire les risques d’une peine trop lourde. Mais il ne peut que difficilement le faire en si peu de temps d’où l’intérêt de prendre le délai.
Rien ne peut justifier pour une institution judiciaire une pratique telle que la comparution immédiate. Elle n’est ni juste ni bonne. Elle est effrayante de par la violence qu’elle impose aux prévenus et hypocrite dans sa justification qui voudrait qu’une possibilité de demande de délai la rende acceptable.
Pour terminer, personne ne sait si la magistrate auteur des propos tenus plus hauts s’est vu sanctionnée. Il est d’autant plus incroyable de se dire que si France Culture n’avait pas enregistré les débats, personne n’en aurait jamais entendu parler.