Accès au dossier en garde-à-vue : l’impasse de la défense

L’accès au dossier dans le cadre de la garde-à-vue est l’un des thèmes récurrents qui agitent les droits de la défense pénale depuis longtemps. Les avocats se sont battus pendant de nombreuses années pour pouvoir être présent à ce stade de la procédure pénale. Beaucoup d’informations sont rassemblées par les services de police et l’importance de l’interrogatoire dans le procès qui suivra sera réelle. Il est nécessaire que l’avocat puisse assister son client à ce stade pour lui expliquer ce qu’il va se passer mais aussi à la façon de répondre ou non aux questions posées par la police.

La garde-à-vue est un moment essentiel. C’est à partir de cette mesure que la personne suspectée est réellement considéré comme telle par la police. Une modification substantielle du régime a eu lieu en 2010 suite à une décision du Conseil constitutionnel (Cons. Const, 30 juillet 2010, n° 2010-14/22 QPC). Cette affaire portait sur plusieurs articles du Code de procédure pénale qui avaient été attaqués comme étant contraire à la Constitution notamment ce qu’ ils ne garantissaient pas l’effectivité de l’assistance de l’avocat lors des interrogatoires.Toutefois l’accès au dossier lui n’a pas été traité à l’époque.

 

accès au dossier

L’accès au dossier : interdiction pour la justice française !

Or il est fondamental pour la défense de la personne suspectée d’avoir commis les faits d’avoir accès au dossier. Par dossier, il s’agit de l’enquête qui a été faite par la police et qui regroupe des éléments comme une plainte, des extraits de vidéosurveillance, des interrogatoires d’autres personnes, des écoutes téléphoniques. Permettre à l’avocat d’avoir accès au dossier aurait alors pour conséquence de garantir encore plus l’effectivité du conseil de l’avocat.

L’avocat qui doit conseiller son client en garde-à-vue pourra le faire de manière bien plus efficace si il connait les éléments de l’enquête qui sont retenus contre la personne suspectée. Par exemple, lorsqu’il y a des images accablantes pour la personne suspectée l’avocat peut ainsi lui expliquer que nier les faits ne serait pas la bonne marche à suivre. A contrario si le dossier repose sur des déclarations qui n’ont pas été corroborées par d’autres preuves, il pourra recommander à son client de répondre aux questions mais en se limitant aux faits qui peuvent être réellement établis. L’accès au dossier est donc utile à la défense.

Mais il serait également utile à la police. L’argument qui est systématiquement opposé à l’accès au dossier est que cela gênerait l’enquête de la police toujours en cours. Si l’on réfléchit cet argument ne soutient pas une critique à la fois légale mais également de simple logique. Car si l’avocat a accès au dossier, cela ne signifie pas qu’il va pour autant gêner l’enquête ce n’est pas son rôle ni sa mission. Il n’y a aucun intérêt s’il souhaite démontrer l’innocence de l’enquête qui vise son client. De plus, d’autres pays permettent un accès au dossier de la procédure notamment l’Allemagne qui permet à l’avocat d’avoir accès au dossier au moment de l’arrestation de la personnes suspectée. C’est aussi le cas en Estonie ou en Irlande bien que la procédure pénale y soit différente dans sa nature. Selon un rapport de 2015 de l’ONG Fair Trial qui a comparé les systèmes dans 17 pays de l’Union Européenne, le Portugal apparait comme l’un des pays où l’accès au dossier est absolu pour la défense. Or le pays a l’un des taux de criminalité les plus faibles d’Europe et même du monde. Donc il n’y a pas de rapport direct entre l’efficacité des forces de l’ordre et l’accès au dossier en garde-à-vue.

Comme bien souvent en matière de politique pénale, ce sont les émotions et autres présupposés reposant sur aucun élément scientifique ou objectif qui dictent les lois successives. Pourtant l’accès au dossier est encouragé par l’Union Européenne à travers la directive 2012/13/EU relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales. A ce jour, et bien que la France soit considérée comme ayant transposé la directive, l’accès au dossier en garde-à-vue demeure une impasse pour les avocats de la défense.

L’accès au dossier en garde-à-vue est un enjeu majeur pour notre société. Son succès déterminera si nous sommes arrivés à un stade où les droits fondamentaux soutiennent le choc des faits divers et autres préconceptions vides et creuses (la peine de mort ferait reculer la criminalité à longtemps été un grand concept totalement faux d’un point de vue scientifique mais qui a perduré en France encore même à ce jour).

En attendant que ce jour advienne, le meilleur conseil est toujours d’utiliser le droit au silence qui garantira à la personne suspectée que lorsqu’elle voudra répondre aux questions, elle sera réellement à même de le faire et aura eu accès au dossier et donc aux éléments sur lesquels se fondent les accusations dont elle fait l’objet.